Kurdistan Turc. – 31/10/2010 –

Anatolie de l’Est.
Nous arrivons à Sirnak, dans la nuit. La ville est haut perché et dans un décor de montagnes sauvages et abruptes.  Elle est construite sur des dénivelés à rendre Lausanne jalouse et c’est avec peine que nous trouvons un endroit où nous parquer dans les hauteurs de la ville, juste devant le poste de police turque et le super marché de Ahmet, qui nous fera croire à nouveau au père Noël.

Nous sommes à peine arrivés que Philou se fait embarquer par Ahmet qui l’emmène visiter son magasin et boire le thé au sous-sol au milieu des frigos à viande. Ambiance étrange, surtout lorsqu’arrivent, deux, quatre puis dix hommes qui l’interrogent (dans une incompréhension mutuelle totale) et l’observent boire son tchay sucré. Philou tout fier de connaître un mot de Turc lance un jovial Techekkür et se retrouve bien mal à l’aise, lorsqu’après un petit moment de silence certains hommes lui lancent un « non Techekkür, here Kurdich ! In Kurdich Spass ! » Grand moment de solitude et il avouera s’être dit qu’il pourrait bien disparaître sans que personne ne sache où il était passé… Il aura quand même été absent une bonne quarantaine de minutes. Et dire que je ne me suis même pas inquiétée…Shame on me. Un peu plus tard nous rencontrons Ibrahim et Bedran qui nous proposent d’aller boire un verre et chassent des enfants mal fagotés qui ne semblent pas si bien intentionnés, cognant  le c.c en essayant d’ouvrir les portes. Nous partons en leur compagnie et apprenons qu’ici on ne parle pas turc, mais kurde. Nous comprenons rapidement qu’il est préférable d’élargir notre vocabulaire et tentons de mémoriser quelques mots courants. Aujourd’hui, c’est la fête nationale de la Turquie et les feux d’artifice fusent juste devant la fenêtre du café où nous sommes. Les drapeaux turcs battent le vent, mais personne ne s’exclame ou n’exprime quelque joie que ce soit. Les hommes qui allument les feux courent d’une caisse à l’autre, allument  les fusées à la main et se planquent derrière les caisses. Nous pensons bien fort à Zeljko qui serait vert de voir ça. La présence militaire est importante ; des sortes de véhicules entre la jeep blindée et le tank défilent dans les rues. Ces engins et celles de militaires armés tout au long du jour et de la nuit nous font un effet bizarre. Nous parlons des Kurdes et ce sujet sera à chaque fois remis sur le tapis dans les nombreuses discussions que nous aurons avec les gens que nous rencontrerons, surtout entre les hommes et Philou.  La situation est tendue et la revendication kurde quant à la reconnaissance de leur état par la Turquie est palpable. Le lendemain, nous sommes invités à déjeuner par Bedran et  Ibrahim  qui regarde toujours Tom avec une infinie tendresse et tristesse. Nous nous demandons bien ce qui se cache derrière ce regard qui nous a marqués. Après le déjeuner nous voilà embarqués dans la maison de l’oncle d’Ibrahim, Ameth, où se déroule une cérémonie de mariage.

Nous nous déchaussons et sommes happés par la foule qui se presse dans une petite pièce surchauffée. Il y a là une trentaine de femmes qui dansent, en costumes traditionnels sous le regard d’une multitude d’enfants, assis par terre. La pièce est remplie à bloc et nous sommes embarqués dans la ronde. Philippe est invité à l’étage supérieur avec Tom. L’étage des hommes. Soudain, les femmes s’agitent, sortent et reviennent, tout le monde se pousse et fait place pour que 4 femmes puissent installer sur toute la longueur du sol, une grande toile cirée. Nous nous asseyons et commence un long défilé de plats qui viennent habiller cette dernière. Puis comme si un signal était donné, toutes les femmes commencent à manger. Bedran vient nous glisser qu’il nous faut absolument manger même si nous sortons à peine de déjeuner. Ça, nous l’avions bien compris, au plus grand désespoir de Léna, qui chipote avec un sourire un peu forcé dans quelques plats . Puis on me propose de m’habiller. Je dois mettre une sorte de déshabillé en soie sur laquelle viendra s’ajouter un petit gilet tissé de perles sorte de bustier puis, une robe en tulle et soie perlée. Sur les manches viendront s’ajouter des sortes de longs manchons blancs sans pieds en coton  retroussés et noués sur le poignet. Je ne sais pas qu’elle est la signification de ces blanches demi-manches, mais elles ont une importance certaine car elles me seront plusieurs fois réajustées et toutes les femmes en ont. Puis vient le voile blanc décoré. On m’amène dans la salle où toutes les femmes rigolent, me tournent et m’observent avec de grands sourires.  Une vieille femme me regarde et tire sur le gilet ouvert qui sert de bustier et est censé mettre en valeur les belles poitrines opulentes des femmes kurdes. Elle me regarde sceptique puis, en éclatant de rire soupèse ses seins et tire à nouveau sur mon bustier. Je soupèse les miens la mine déconfite et lui montre que je ne peux rien y faire. Arrive alors une femme qui lui tend une aiguille et du fil et la voilà assise, jambes allongées en train de m’ajuster mon bustier en chantant. Elle me fait comprendre que je dois chanter une chanson qu’elle reprendra avec moi. Ah, quel grand moment de solitude. Heureusement tout à une fin et on me demande de monter vers Philou qui aura vécu les mêmes moments que moi, sans le bustier ! Il aura quand même fait chanter une vingtaine d’hommes sur la chanson  « en revenant de Bizaraï adaptée façon «en revenant de Sirnak » ; chanson plus que populaire pour ceux qui connaissent, disons même chanson de comptoir.

Après plusieurs heures nous prenons congé de cette cérémonie qui durera deux jours, sans avoir vu la mariée qui arrivera d’ici quelques heures seulement. Le mari lui est dans une pièce et se fait raser, au milieu des hommes qui chantent, parlent, fument et de quelques femmes assises dans un coin, qui chantent en battant le tambourin. Ce soir, les hommes se retrouveront pour se battre et les femmes pour danser. Ce n’est que le lendemain que l’homme sera présenté à sa femme et qu’ils seront mariés par l’Iman qui se déplacera pour l’occasion. Ensuite, la cérémonie continuera, hommes et femmes ensembles. Très belle expérience dont les enfants ressortent un peu étourdis. Nous allons ensuite dans la famille de Bedran…pour le goûter. Le soir, nous sortons manger avec Bedran et son petit cousin et passons un très beau moment à les initier au uno et au jeu des 7 familles. Au matin, nous découvrons notre pneu tailladé à coups de couteau . Nos amis de la veille en sont tout désolés et s’excusent une centaine de fois.. Nous partons finalement en gardant avec nous les beaux moments passés, bien décidés à oublier rapidement cette mauvaise action à notre égard. Nous empruntons la route qui mène à Hakari et qui nous fera atteindre la folle moyenne de 40 km/h pour parcourir quelque 170 kilomètres. Pendant que Philippe en attrape des courbatures aux épaules, moi j’apprécie, sans modération la vue spectaculaire sur les montagnes, la rivière, les villages…Seul point noir au tableau, la présence militaire et les cheks points bien trop nombreux . Tous les véhicules sont stoppés, les camions sont parfois fouillés. Dans chaque village que nous traversons, il y a une enclave militaire. C’est parfois même la seule zone comprenant de belles maisons bien finies. Les tanks, chars, sont stoppés an bordure de route. Parfois, une énorme tranchée sépare la barrière de fils barbelé qui fait déjà office de délimitation des territoires. Nous avons le sentiment que le peuple kurde vit dans une prison à ciel ouvert. Comment la Turquie peut-elle affirmer qu’il n’y a pas de problème kurde et dépenser autant d’argent pour prévenir toute rébellion ? De plus, comme pour narguer ce peuple déjà marqué par l’histoire, il y a dans chaque bourgade, un Enorme drapeau turc avec sur les faces montagneuses, la demi-lune comme gravée dans le sol et qui se voit à des kilomètres à la ronde…Uhm mauvaise pub pour le gouvernement turc. Ça n’appelle pas à la sympathie…vis-à-vis du gouvernement uniquement. Nous arriverons finalement à Hakari avec le crépuscule et resterons au bord de la route, en contrebas de la ville, sur le parking de la station essence. Nous préférons éviter le monde et une éventuelle mauvaise surprise car notre roue de secours est vraiment bancale, entre la jante fissurée, la chambre à air incorporée et le pneu à rustines…bof bof va falloir remédier à tout ça. Le matin nous apercevons des cimes enneigées et nous partons un peu fatigués de la route que nous imaginons mauvaise et sinueuse.

Mais grande surprise, nous avançons à bonne allure et remontons la moyenne du jour précédant, quasi à 60 km/h. Yes ! Au prochain check point nous demandons si nous pouvons passer la douane de Serou qui est à une 50aine de kilomètres de là. Apparemment oui. Bon, nous tentons notre chance et verrons bien le résultat. Si nous passons, nous gagnerons bien 1 jour et demi de route et de froid. Nous recevons une réponse par sms comme quoi l’ambassade certifie que la seule douane où nous pouvons passer est celle bien plus au nord, de Bazargan. Ma foi, nous continuons pleins d’incertitude. Au dernier check point on nous demande de faire très attention car il y a des risques de cocktails molotoffs et d’attaques par les terroristes kurdes (dixit du militaire en poste). Nous apprendrons quelques heures plus tard qu’un kurde s’est fait exploser sur la place Taksim à Istanbul, où nous mangions nos kebabs un peu plus d’un mois auparavant, faisant une 30aine de blessés. Attentat non revendiqué par le pkk. Bon, bon, les paysages sont doux et nous préférons nous laisser porter par la douceur du lieu et oublier toutes ces recommandations dont nous ne pouvons pas faire grand-chose. À part rouler en espérant ne pas être au mauvais endroit, au mauvais moment…Nous sommes aussi persuadés que l’armée turque aime bien en rajouter un peu. ? Nous ne saurons jamais avec certitude quelle est la vraie réalité. Ce dont nous sommes certains, c’est que la situation risque bien d’exploser, mais quand ? Après les Palestiniens, le peuple kurde; nous apprenons à comprendre ces populations, leur passé traumatisant et leur douloureuse destinée.

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Avant d’arriver à la douane nous nous arrêtons pour déposer au bord de la route notre dernière bouteille de blanc ne prenant pas le risque d’être ennuyé pour une petite topette. Ce que nous ignorons c’est que nous avons encore une belle bouteille de rouge dans un coffre et deux heineken dans une armoire…Nous les découvrirons en Iran et elles feront plus d’un heureux. Arrivés à la douane nous avons l’agréable surprise de la franchir en moins d’une heure sans débourser quoi que ce soit et en étant chaleureusement accueillis. Ceux qui auraient voulu de petites anecdotes rigolotes vont être déçus.
Rochbach Anatolie de l’Est et peuple kurde, sal’am Iran.